Texte de Jean L. Pelon, guide-conférencier des villes et pays d’art et d’histoire, guide Casa, pt ass. R. de Torigni, photographies d’Antoine Versluys.

A l’occasion des 50 ans de présence à la cathédrale Notre-Dame de Paris des guides CASA (casa : en italien, maison) acronyme des « Communautés d’Accueil dans les Sites Artistiques »), un colloque vient de réunir plusieurs centaines de personnes (experts, universitaires, administrateurs, ecclésiastiques, guides, issus de plusieurs pays …) pour une journée d’études au Collège des Bernardins. Thème : « Entre art, histoire et spiritualité » (charte du triple fondement des contenus transmis par les guides Casa).

Après le traumatisme à Paris de la Semaine sainte 2019 et les dures années qui ont suivi, le public venu aux Bernardins s’est partagé signes d’espoir et moyens de rendre vie à la cathédrale meurtrie (réouverture en beauté et en sécurité : fin 2024 ?)

Certaines des nombreuses analyses et perspectives apportées par cette rencontre ne peuvent-elles contribuer, mutatis mutandis, à nourrir les réflexions en cours sur les évolutions potentielles du sanctuaire du Mont-Saint-Michel, initiées par Mgr Laurent Le Boulc’h (évêque de Coutances et Avranches), avec le concours des deux congrégations présentes en ce moment au Mont : les Fraternités Monastiques de Jérusalem et la Communauté Saint-Martin ?

Rappel historique

L’association Casa a débuté à Brancion (Bourgogne) en 1967 sous l’égide du P. Alain Ponsar (1917-2012, docteur en médecine, prêtre), curé notamment de la paroisse Saint-Séverin à Paris. Des étudiants bénévoles, après une formation communautaire, ont été envoyés chaque été dans diverses églises de France pour proposer gratuitement leur éclairage aux visiteurs, en « amis compétents » et non en simples dispensateurs de savoirs… Puis, dès 1972, les jeunes guides Casa se sont mis au service des responsables de la cathédrale de Paris, rejoints par les « guides présents à l’année » plus âgés, créant ensemble le groupe « Casa-Notre-Dame ». Depuis 1981, les (environ) 15 millions de visiteurs annuels de Notre-Dame ont pu suivre, dans une dizaine de langues, l’été, sur le parvis, les fanions nationaux de jeunes guides (les « Communautés internationales Casa »).

Des touristes aux visiteurs

L’esprit dans lequel œuvrent ces guides (environ 200 bénévoles en 2022 dans une trentaine de sites, lesquels peuvent varier d’une année à l’autre) est bien celui de l’Accueil : « attitude qui devrait être normale chez unchrétien » comme le rappelait le nouvel archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, mentionnant la Règle de saint Benoit, l’épisode du Chêne de Mambré, et la Lettre aux Hébreux (« N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges » He 13. 2).

Mgr Jacques Perrier, curé de Notre-Dame de Paris à la fin des années 1980, demandait aux guides, jeunes ou non, de ne plus parler de « touristes » mais de « visiteurs » (rappelant, par exemple, l’importance de la « Visitation » dans l’Évangile.)

La nef du Collège des Bernardins

Les églises, « portes d’entrée » du sacré

Sacré défi, défi sacré, que d’accueillir, au nom du Maître des lieux (le plus souvent accompagné de sa Mère), toutes les cultures, en ce monde pluriel ! Savoir conter, ne pas jouer au pédant, faire ressentir de l’émotion, ne pas s’adresser uniquement à l’intellect des interlocuteurs, montrer une église comme un lieu vivant, essayer de leur faire goûter ce que les Anciens appelaient « l’âme du lieu », tout cela suppose que le guide ne se laisse pas encombrer par divers stéréotypes modernes, comme l’antagonisme exagéré et historiquement récent entre le « cultuel » et le « culturel », normes toujours plus ou moins subjectives.

Les intervenants ont donné des clefs aussi bien pour la gestion concrète des sites religieux (aspects juridiques, techniques, liturgiques et autres) que pour l’animation (manifestations musicales, théâtrales…). Ils ont précisé les limites et les responsabilités des initiatives envisageables par chacun des divers partenaires : affectataire, propriétaire public, conservateur, architecte des Bâtiments de France, commission diocésaine d’Art sacré, Drac, mécènes etc.

Sanctuaires et sites de pèlerinage

Les sites où convergent des « fidèles » mêlés aux visiteurs athées, agnostiques, indifférents, ou adeptes d’autres religions, peuvent adopter toutes sortes d’attitudes qui s’étagent de la relative fermeture d’un « conservatoire » jusqu’aux innovations d’un « laboratoire ».

Comment, dans de tels lieux de culte, faire percevoir aux visiteurs la transition entre la matérialité de l’espace sensible (les constructions humaines éphémères) et les réalités surnaturelles, invisibles, éternelles (le monde transcendant, la Jérusalem céleste) ? Ce voyage dans une église – où les guides, chacun à leur façon, emmènent leurs visiteurs – n’est pas sans supposer une préparation historique et architecturale, mais aussi sinon théologique du moins catéchétique (« Pour faire comprendre et faire aimer, il faut connaître»). Un intervenant a même évoqué le chapitre des Actes des apôtres où le diacre Philippe rencontre le trésorier de la reine d’Éthiopie. L’aidant à essayer de comprendre un verset du Livre d’Isaïe, il amène la conversation vers le Christ de telle manière que l’étranger finit par demander le baptême (Ac 8.27-39). Sans aller aussi loin, ni demander un tel charisme à des guides jeunes et pas obligatoirement chrétiens, les intervenants ont rappelé que l’objectif de leur médiation, loin d’un prosélytisme tapageur, consiste en un cheminement commun vers le Mystère de Dieu, un bref compagnonnage documenté avec le visiteur, approche assurément délicate dans le contexte actuel de déchristianisation accélérée (désacralisation, sécularisation, anticléricalisme…)

La voie et le sens

« Via viatores quaerit » (La voie cherche les voyageurs). Cette phrase multivoque (faut-il traduire : le Christ cherche les chrétiens ?) fut répétée par saint Augustin (354 – 430) dans deux de ses Sermons, l’un en l’honneur du martyr Quadratus, l’autre à l’occasion du baptême de catéchumènes d’Hippone. Les cathédrales, les sanctuaires, les abbayes, les églises de la chrétienté nous adressent au XXIe siècle cette même apostrophe. Les médiateurs seront-ils prêts à indiquer aux foules de visiteurs le sens (le Sens ?) des monuments religieux qui nous ont été légués par nos lointains ancêtres et qui dialoguent avec le monde actuel ?

L’Auditorium du Collège des Bernardins

Prolongements

– Toutes les conférences sont accessibles sur YouTube, notamment celle qui concerne les sanctuaires et les sites de pèlerinagehttps://www.youtube.com/watch?v=PGEFD_FJfCY)- Programme détaillé sur https://guidecasa.com/wp-content/uploads/2022/10/Programme-15-oct.-22.pdf

– L’Art de visiter (N.-D. de Paris, le Mystère dévoilé), par Alain Ponsar, éd. Le Centurion 1986

– 12 fiches pratiques : réponses officielles à certaines questions que peuvent se poser les responsables de sites patrimoniaux affectés au culte : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Monuments-Sites/Ressources/Les-fiches-pratiques

– Lettre aux artistes, par le saint pape Jean-Paul II

– Art chrétien / Art sacré – Regards du catholicisme sur l’art (France, XIXe-XXe), par Isabelle Saint-Martin, éd. PUR 2016

– Le Pèlerinage à l’heure de la sécularisation, par Marie-Hélène Chevrier, éd. A. Colin 2016

– Le site de Bruno Seillier, artiste qui, lors de ce colloque, a donné son écho de créateur sur la valorisation des sites sacrés : https://brunoseillier.com

Les conférences (entrecoupées de table rondes réunissant des artistes, des concepteurs, des doctorants internationaux, des universitaires, des formateurs de guides…) se sont déroulées autour des quatre thèmes suivants :

Transmettre le sens d’une cathédrale d’hier à aujourd’hui :

L’identité d’une cathédrale : rites religieux et rites politiques à Notre-Dame.

Avec Mathieu Lours, historien de l’architecture, responsable de champ disciplinaire à l’École de Chaillot.

La dimension patrimoniale de Notre-Dame de Paris et le cadre institutionnel de l’accueil des visiteurs.

Avec Isabelle Chave, conservatrice générale du patrimoine, sous-directrice des monuments historiques et sites patrimoniaux, service du patrimoine, direction générale des patrimoines et de l’architecture, ministère de la Culture.

Témoignage de Jean-Pierre Cartier, professeur émérite agrégé d’histoire-géographie, maître des cérémonies à Notre-Dame de Paris, membre de CASA.

Accueillir le monde à Notre-Dame : regard international et approches comparées

Table ronde sur la dimension internationale de Notre-Dame de Paris.

Table ronde animée par Neil Malloy, ancien responsable des communautés internationales à Notre-Dame de Paris, doctorant en littérature française à l’université de Warwick au Royaume-Uni.

Avec Michel Picaud, président de la fondation Friends of Notre-Dame de Paris,

Zofia Litwinowicz-Krutnik, doctorante en littérature française XIX e -XX e siècle, 5e année, Sorbonne Université, ancienne participante aux communautés internationales à Notre-Dame de Paris,

Jun Zhang, diplômée du master « patrimoine et musées » à l’université Paris 1 Panthéon

Sorbonne.

Les sanctuaires du monde catholique : conservatoires et laboratoires du sacré.

Avec Marie-Hélène Chevrier, maître de conférences en géographie, Institut catholique de

Paris UR « Religion, Culture et Société.

La création artistique dans un monument historique dédié au culte

Table ronde animée par Antoine Toursel, chef de projet à la cristallerie Saint-Louis, ancien président de CASA.

Avec Virginie Bassetti, sculpteur campanaire, créatrice du programme iconographique des cloches de Notre-Dame de Paris réalisées pour le 850 e anniversaire de la cathédrale,

Caroline Morizot, responsable de la conservation et de l’inventaire, commission diocésaine d’art sacré à Paris, docteur en histoire de l’art médiéval),

Charles Personnaz, directeur de l’Institut national du patrimoine.

De “l’ami compétent” aux outils numériques : quelles médiations pour Notre-Dame de

Paris ?

Visiter Notre-Dame à l’heure du tourisme de masse : expériences et perceptions d’usagers experts.

Avec Sylvie Sagnes, chargée de recherches CNRS, UMR Héritages (CY, CNRS, MC), groupe de travail Émotions/Mobilisations – Chantier scientifique Notre-Dame de Paris (CNRS, ministère de la Culture).

La technique : amie ou ennemie ?

Avec Bruno Seillier, scénariste, metteur en scène et directeur artistique. Créateur de Dame de cœur et d’Éternelle Notre-Dame.

Se laisser toucher par Notre-Dame : pour une visite de la cathédrale adaptée aux personnes malvoyantes et non-voyantes.

Avec Gonzague de Brunhoff, guide-conférencier et professeur de philosophie à l’Institut National des Jeunes Aveugles à Paris. Spécialiste de la médiation pour les publics malvoyants et non-voyants.

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