Texte de Marie-Noëlle Pinot[1], photographies de Bénédicte Delatte.

La découverte de l’abbaye de Sylvanès[2] lors de la Semaine sainte de l’année 2005 a été un émerveillement de joie, de beauté, de recueillement, d’intériorité… et de prières.

Arrivés de nuit à Sylvanès, après une route un peu difficile en raison d’un épais brouillard et de la traversée peu engageante des Causses, nous avons éprouvé un grand choc en entrant dans l’église, encore enfouie dans son silence : dans la pénombre et le froid assez intense qui enveloppait notre petit groupe dans l’église encore vide de fidèles, la beauté de l’architecture, si simple, droite, dépouillée, nous a fait quitter complètement notre vie quotidienne, débordante d’activités et de bruits, et entrer doucement dans un autre monde, celui de l’intériorité.

Le froid pénétrant[3] se faisait peu à peu oublier au fur et à mesure que l’éclairage des grosses chandelles brillait et perçait par endroit les ténèbres, et qu’une mélodie très douce emplissait l’espace, se développait, laissant d’autres voix soutenir cette sorte de mélopée proche du chant grégorien, nous faisant pénétrer par un cheminement heureux débouchant dans le recueillement et la prière.

L’office du Jeudi saint se terminant, nous avons été conviés, après un rapide dîner, à la veillée dans la salle capitulaire, près de l’église, au volume beaucoup plus restreint et plus propice à la méditation, en mémoire de la Passion du Christ, seul, abandonné de ses disciples et angoissé par cette nuit de souffrance et de solitude, soumis après le supplice du fouet aux insultes et aux sévices des soldats chargés de le garder.

La méditation portait sur le passage de l’Évangile selon saint Jean (chap. 14) : « Je vous donne un commandement nouveau : Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres[4]. » Guidés par le père André Gouze, nous pénétrions au cœur du message divin : une nourriture spirituelle, sur un chemin d’intériorité, à retrouver sans cesse.

Dans la matinée du jour de Pâques, avant la messe de la Résurrection, nous étions rassemblés par petits groupes dans l’ancien cloître, ouvert sur les champs ; la nature en éveil et ses fleurs sauvages, taches de couleur dans leur fraîcheur, suscitaient des paroles d’action de grâce et de louange, préparant la messe qui résonnerait un peu plus tard du cantique de Haendel, « À toi la gloire, ô Ressuscité, à toi la victoire pour l’éternité » !

Dans l’église, ouverte cette fois à la lumière et aux fidèles, nous avons été entourés d’un petit millier de croyants, venus chanter la gloire du Seigneur. Le père Gouze avait invité le pasteur (dans cette région vivent de nombreux protestants), le maire du village et beaucoup de fidèles orthodoxes, qui chantaient de tout leur cœur, reprenant les psaumes répétés la veille par la maîtrise et quelques pèlerins musiciens amateurs ; de grandes plages de silence alternaient avec les psalmodies. Alors du plus profond de cette intériorité retrouvée, montait une ferveur, éblouissante, vers le ciel.


[1] Historienne de l’art et conservateur en chef du patrimoine, Marie-Noëlle Pinot est arrivée à CASA en 2006, après un an passé au service d’Accueil-Jeunes à Notre-Dame de Paris.

[2] Abbaye cistercienne du début du XIIe siècle (Aveyron).

[3] Le chauffage fut heureusement allumé en fin de soirée.

[4] Jn, 14,34.

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