Texte et photographies de Noëlle Sergent.

Vers la mi-janvier 2022

Une information :

« Le comédien Bastien Sylvestre[1] est décédé hier d’un accident de ski en Savoie. Bastien Sylvestre descendait une piste de ski quand il a heurté un autre skieur à un croisement. Violemment touché à la tête, il a été transporté en hélicoptère à l’hôpital de Grenoble où il est décédé peu après son admission.

Bastien Sylvestre, âgé de 37 ans, connaissait un vif succès dans les rôles qu’il avait interprétés et qui lui avaient valu notamment le César du meilleur espoir masculin en 2005 et le César du meilleur acteur en 2015. »

J’entends cette information qui annonce le décès d’un jeune acteur que je ne connaissais pas du tout. Je ne vais plus tellement au cinéma depuis quelques années. Les fictions ne m’intéressent plus vraiment. C’est comme ça…

Je ne sais rien de Bastien Sylvestre. Je n’ai jamais entendu parler de lui. J’ignorais même son nom jusqu’à cette nouvelle. Mais quand même, 37 ans, c’est vraiment jeune pour mourir…

***

Un ou deux jours plus tard

Une notification :

Mon téléphone m’adresse une notification : La messe d’enterrement de Bastien Sylvestre sera célébrée à l’église Saint-Eustache à Paris dans quelques jours. Je connais bien cette église pour l’avoir fréquentée pendant presque vingt ans mais je n’irai pas à cette messe d’enterrement. De nombreuses personnalités seront présentes. Je ne connaissais pas Bastien Sylvestre, je ne vais pas aller à la messe pour risquer de me laisser distraire en regardant telle ou telle personne connue.

***

Encore un ou deux jours plus tard

Une rencontre :

Je ne suis pas très loin de Réaumur-Sébastopol. Je rentre chez moi. Je m’approche de l’arrêt « Grenier Saint-Lazare » du bus 29. Une dame est assise dans l’abribus.

Nous échangeons quelques phrases. La dame se plaint d’attendre le bus depuis un bon moment. Conversation fréquente et banale dans les abribus parisiens… Puis, la dame :

  • Mais qu’est-ce qu’il fait froid en plus. C’est tout gris, ça ne donne pas le moral, mais qu’est-ce qu’il fait froid et gris…

Le bus arrive. La dame et moi, montons dans le bus.

D’habitude, lorsque j’échange quelques paroles avec une personne dans un abribus, je la salue juste avant de monter et m’installe volontairement à distance pour ne pas risquer d’être importune, mais là, sans savoir pourquoi, deux places mitoyennes sont libres, la dame s’assied, je m’assieds près d’elle.

La dame :

  • C’est vraiment gris. Tout est sombre. Mais qu’est-ce qu’il fait mauvais. Et puis toutes ces nouvelles. Que des nouvelles tristes. Tous ces malades. Tous ces morts…
  • Oui… Mais, que voulez-vous ? On est en hiver et il fait souvent gris à Paris. Et puis évidemment, avec le Covid, beaucoup de gens ont été touchés par la maladie. Et beaucoup sont morts.
  • Oui, mais c’est vraiment beaucoup. Moi, j’apprends mort sur mort en ce moment.
  • C’est sûr. Beaucoup de gens âgés sont morts avec cette maladie.
  • Mais pas que des gens âgés, des jeunes aussi.
  • Oui… Certainement.
  • Moi, demain, je vais à l’enterrement de quelqu’un qui vient de mourir à 37 ans.
  • Ah la la… Justement il y a un comédien qui vient de mourir d’un accident de ski. Il avait 37 ans.
  • C’est lui.

Je tourne la tête, regarde la dame.

  • Vous allez à l’enterrement de Bastien Sylvestre, demain ?
  • Oui, je le connaissais très bien. Mon mari et moi nous sommes très amis de ses parents et nous avons passé de très nombreux moments ensemble. Des week-ends entiers. Il était fils unique. Moi, j’ai trois enfants. Nos enfants jouaient tous les quatre. Nous étions vraiment très proches, la mère de Bastien est la marraine de ma fille… Mes enfants étaient turbulents, pas toujours faciles, mais Bastien était un modèle, un modèle d’enfant… Ah la la… Quel malheur… Vous savez, la fossette qu’il avait sur la joue, les journalistes ont dit qu’un chien l’avait mordu, mais pas du tout, c’est mon chien qui l’avait griffé. Bastien devait avoir six ans, il avait voulu monter sur le dos de mon chien, mon chien s’était rebellé et lui avait donné un coup de griffe. Bastien a été recousu, mais il était tellement gentil qu’il pleurait car il avait peur que l’on punisse mon chien… Ah… Comme il était gentil… Il était beau, c’est sûr, mais il était plus que beau, il avait quelque chose en plus, quelque chose se dégageait de lui. Quand il était quelque part, c’est comme s’il avait été lumineux… C’était un ange… Déjà… Ah la la… Vous voyez ce bracelet ? C’est lui qui me l’a offert… Ah non, mais vraiment… En plus, son accident, mais c’est une fatalité… Il n’avait pas de casque, bien sûr, comme tous les Savoyards, il skiait sans casque… Le choc a été très brutal, il a été si violent que, quand les secours sont arrivés, c’était déjà presque trop tard… Ah la la… Vous savez, quand il a eu une quinzaine d’années, il a voulu faire du cinéma. Ses parents n’étaient pas trop d’accord. Mais moi, j’étais costumière à ce moment-là, j’ai parlé à mon agent et je lui ai présenté Bastien. Il a tout de suite été engagé. C’est moi qui lui ai fait avoir son premier rôle. Et ça s’est enchaîné. Il était excellent. Ah la la… Et sa mère, aujourd’hui, mais elle est effondrée. Je ne sais pas comment elle va tenir. Elle ne peut plus parler. Mais il faut tenir. Il faut que tout le monde tienne pour sa compagne, pour son fils, il avait un fils de six ans… On est tous accablés. On prie. On a fait une chaîne de prières avec une amie. On prie…
  • Vous avez raison. Il faut prier. On ne peut faire que ça. Il faut prier quand les gens meurent. C’est par la prière qu’on les accompagne, qu’on les aide à passer d’un monde à l’autre.

Le bus arrive là où je veux descendre. Je salue la dame et sors du bus.

Je suis un peu troublée. C’est étrange, j’ai décidé de ne pas aller à la messe d’enterrement demain mais c’est comme si la messe venait à moi…

***

Un ou deux jours plus tard

Une information :

Mon téléphone m’informe par une notification que Bastien Sylvestre est enterré au cimetière du Père-Lachaise. Je vois une photo de la tombe recouverte de fleurs.

***

Début février 2022

Un épisode de vie :

J’ai reçu, il y a deux jours, la deuxième injection du vaccin contre le Covid. Depuis, je suis restée chez moi, tranquille (c’est plutôt rare…). Le troisième jour, il fait un beau temps d’hiver, lumineux et ensoleillé, un froid sec comme j’aime. Je décide de sortir dans Paris. Où aller ?… Tiens, je vais aller au Père-Lachaise. C’est calme. Il fait beau. Je vais aller voir la tombe de Bastien Sylvestre.

***

Le même jour

Une rencontre fleurie :

Tout près de chez moi, sur le boulevard Diderot, un magasin de fleurs vient d’ouvrir. Toutes les fleurs présentées sur le trottoir sont si belles, si fraîches, si colorées, que je ne peux résister à l’envie de les prendre en photo. Je « crible » les unes, les autres, d’un côté, de l’autre. La fleuriste sort de son magasin. Je crois qu’elle vient me réprimander. Pas du tout. Je lui demande l’autorisation de continuer à photographier. Enthousiaste, elle me dit, mais bien sûr, prenez toutes les photos que vous voulez et, même, vous pouvez entrer dans le magasin et photographier ce qui vous plaît.

J’entre et je bombarde les bouquets, les plantes en pot, les jeunes pousses, je me confonds en compliments, mais quelles jolies fleurs, Madame…

Repue de clichés, je salue la dame et m’apprête à partir. La dame se penche vers un vase, prend un iris, me le tend et dit « c’est pour vous ». Je suis surprise, je me confonds cette fois en remerciements puis je quitte le magasin. Je mets l’iris dont la tige est très courte dans la poche de mon manteau et je prends le bus 61 qui va me conduire directement au cimetière.

Encore un peu troublée et étonnée, je me dis, c’est amusant, au moment où je vais sur la tombe de Bastien Sylvestre, on me donne une fleur. Cette fleur ne pouvait certainement pas être vendue car sa tige est cassée, mais quand même… Je la déposerai sur la tombe de Bastien  Sylvestre…

***

Un petit moment plus tard

Une coïncidence ? :

À l’entrée du bas du cimetière, je demande à la surveillante où se trouve la tombe de Bastien Sylvestre. Très énervée, elle me répond qu’il n’est pas enterré au Père-Lachaise. Je lui dis que j’ai reçu une notification sur mon téléphone indiquant qu’il s’y trouvait et qu’il y avait même une photo de la tombe.

La surveillante, de plus en plus énervée, me balance : « 44ème division !», elle me regarde d’un air furieux puis rentre dans son abri dont elle claque la porte.

Peu de choses m’étonnent à Paris mais là, quand même, je demande un renseignement poliment et je me fais envoyer balader avec une vigueur tempétueuse c’est quand même fort…

Je regarde le plan du cimetière. Bon, je suis où ?… Ah oui… Alors, c’est tout droit et ensuite un peu sur la gauche… J’avance. Tout droit, ça monte. Mais tout droit jusqu’où ?… Je verrai bien en haut des marches. En haut des marches, ce sont des tombes, ça n’est pas un chemin… Je tourne… À gauche… Mais non ça fait trop loin… Bon, c’est marqué où les divisions ? Ah oui… Non, mais ça n’est pas ça du tout… Il faut dire que l’orientation et moi, ça n’est pas toujours très fluide…

Je continue, toujours sur la gauche, un peu en travers. Je ne vois pas de tombe récente. Tant pis. Je renonce. Je ne trouverai pas. Je vais rentrer. Je me dirige vers la grande sortie de Gambetta. Mais la fleur ?… Qu’est-ce que je vais faire de la fleur ?… Je la poserai sur une tombe en passant…

D’un seul coup, sur ma gauche, j’aperçois au loin un monceau de fleurs blanches. Tellement de fleurs qu’elles débordent dans l’allée. Je me dis, c’est sûrement là-bas. Je m’approche.

Autour de cette tombe, quatre employés de la mairie de Paris semblent garder l’endroit. Près de la tombe, une dame et un jeune homme regardent le caveau. Ouvert. Je demande à la dame si elle sait quelle est cette tombe. La dame :

  • C’est la tombe de Bastien Sylvestre. Mais c’est bizarre, le caveau est ouvert…
  • Oui, il est ouvert. S’il est ouvert, c’est que le corps n’est pas là.
  • Vous croyez ? La messe a eu lieu il y a une dizaine de jours.
  • Oui, mais vous savez, parfois les familles ont des volontés particulières. On ne peut pas savoir, mais, ce qui est sûr, c’est que le caveau est vide puisqu’il est ouvert.

À ce moment, un employé de la mairie de Paris s’approche de nous et nous demande de nous éloigner en nous précisant : « La famille arrive ».

Chacun part de son côté. Je m’éloigne puis me retourne et vois le monsieur de la mairie qui me fixe comme pour être sûr que je m’éloigne vraiment. En même temps, j’aperçois au loin une dizaine de personnes et un garçonnet qui s’approchent de la tombe. J’accélère le pas, je me retourne encore et je vois un fourgon funéraire garé près du trottoir opposé à la tombe, je ne l’avais pas encore remarqué.

Je comprends…

Bastien est en train d’être mis en terre à ce moment précis. Je suis vraiment troublée. Je m’assieds sur un banc. Je tourne le dos à la tombe. Je suis à plus de cinquante mètres. Je n’en reviens pas. Je me suis perdue dans le cimetière. J’aurais pu arriver dix minutes plus tôt ou dix minutes plus tard. C’est incroyable. Je suis touchée, émue…

Mais que comprendre de cette coïncidence ? Bastien Sylvestre est en train d’être mis en terre… J’étais devant sa tombe trois minutes avant l’arrivée de sa famille. Que comprendre ?… Il a besoin de prières… C’est sûr… Je ne peux pas rester, il y a la famille. Je reviendrai. Je reviendrai demain et je prierai devant sa tombe.

Mais c’est fou quand même. Cet homme que je ne connaissais pas du tout, dont j’ignorais même le nom et je me trouve au cimetière au moment précis de sa mise en terre… Mais c’était complètement improbable… Je suis émue aux larmes… Je pose l’iris sur le banc, je le prends en photo.

Je me retourne encore. Je vois la famille s’éloigner. C’est fini. Je suis un peu sonnée. Je me lève et m’éloigne.

Non loin de la porte de sortie, je pose l’iris au pied d’un arbre. Comment choisir sur quelle tombe le déposer ?… Maintenant…

J’apprendrai quelques jours plus tard dans la presse que Bastien Sylvestre a été incinéré après qu’une autopsie a été pratiquée. Ceci peut expliquer le délai entre la messe d’enterrement et la mise en terre… De l’urne, probablement…

***

Plusieurs approches :

Le lendemain même, je retourne au cimetière. Je sais où aller maintenant. Il est 14 heures, 15 heures peut-être…

L’iris n’est plus au pied de l’arbre. Quelqu’un l’a pris, ou bien est-ce le vent…

Devant la tombe de Bastien, des gens, des passants.  Ils s’arrêtent, prennent des photos, parlent, repartent. C’est un défilé ininterrompu. Certains arrivent d’un côté, d’autres de l’autre. Ils font une halte devant la tombe. Quelques phrases puis ils s’éloignent.

J’entends des commentaires sur sa célébrité, sur les rôles qu’il a tenus au cinéma, sur le « malheur » de son accident. D’autres commentaires sur les fleurs, les photos, les lettres déposées. Les plus sans-gêne se penchent, lisent les lettres. Une dame âgée n’hésite pas à marcher sur des fleurs pour mieux lire une lettre.

Et moi, là, debout devant la tombe, presque au milieu, venue me recueillir…

Mais c’est impossible… Trop de monde, de mouvement, de bruit… Je ne peux même pas faire mon signe de croix.

Comment faire ?…

Des gens, toujours des gens… Des minutes passent… D’autres minutes… Je n’arrive pas à me recueillir. Je m’éloigne et décide de revenir le lendemain.

En partant, je me dis, voilà ce dont Bastien Sylvestre doit avoir besoin. Il a besoin de spiritualité. Il avait la célébrité. Tous les gens qui viennent sur sa tombe font plus ou moins partie de son public mais ce qui doit lui manquer ce sont des prières pour l’accompagner et l’aider à changer de monde.

Le lendemain, je reviens au Père-Lachaise. Je décide, cette fois, d’y rester suffisamment longtemps pour réussir à prier pour l’âme de Bastien Sylvestre.

Toujours le début d’après-midi. Toujours le même déroulé : des gens, des paroles, du mouvement. Je suis debout devant la tombe. À un moment, de manière inespérée, un répit. Je me retourne : personne… Je fais mon signe de croix puis je vais m’asseoir presque en face de la tombe sur le tronc d’un arbre coupé situé sur le trottoir opposé.

Je reste là un bon moment. Il était jeune, en pleine santé, il est mort brutalement. Il n’était pas prêt à mourir. Son âme a besoin d’aide pour s’élever et changer de monde.

Je reste assise. Simplement. Impossible de prier. Trop de vie autour de cette tombe. Au bout de presqu’une heure, je me lève, m’approche de la tombe, quelques secondes « libres », je réussis à me signer sans témoin puis je m’éloigne mais sans avoir réussi à me recueillir comme je l’aurais voulu.

Dépitée, je décide d’aller dans les jours à venir à l’église Saint-Eustache où a été célébrée la messe d’enterrement de Bastien Sylvestre. Au moins, là-bas, personne ne troublera mon recueillement.

Quelques jours plus tard, donc, dans l’église, je m’assieds à l’endroit qui me paraît le plus propice pour, simplement, dans le calme, laisser le recueillement se faire en moi.

Assise au premier rang, face à l’autel, du côté gauche de la nef, la première chaise le long de l’allée centrale, je songe qu’il y a peu de temps le cercueil de Bastien Sylvestre a été posé là, tout près.

Tout est calme, je me signe, je laisse le temps couler… Mais très rapidement, au bout de cinq minutes peut-être, une horde de touristes bruyants, armés de leur téléphone/appareil photo, débarquent et quadrillent l’espace entre l’autel et les chaises du premier rang tout en parlant fort et en s’interpellant.

Déçue, je me lève et quitte l’église. Je souhaite une intériorité entière, un recueillement qui s’opère de lui-même, sans contrôle. Je veux n’apporter que ma disponibilité et laisser le recueillement se faire.

Je n’y suis pas encore parvenue. Alors, je me dis que je pourrais peut-être retourner au cimetière et y rester un bon moment dans une certaine tranquillité. Je pourrais faire cela dans quelques mois, cet été par exemple, il devrait certainement y avoir moins de monde auprès de la tombe.

Je retiens cette idée, pour les beaux jours.

Et ma vie continue. Je ne pense plus à Bastien Sylvestre que de loin. Heureusement…

Sauf, peut-être, encore un signe de sa présence qui remonte à la fin janvier 2022 dans l’église Saint-Germain l’Auxerrois où je vais régulièrement à la messe.

Pendant une dizaine de jours, deux énormes baquets de fleurs blanches ont été posés dans l’église, l’un devant la statue de la Vierge au Pilier, rescapée de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, l’autre devant le pupitre de lecture. Ces deux compositions sont superbes, imposantes, inhabituelles par leur taille. Une dame interroge le sacristain :

  • D’où viennent ces magnifiques fleurs ?
  • Ce sont des fleurs de l’enterrement de Bastien Sylvestre. Il y en avait tellement que la famille en a laissé une grande partie à Saint-Eustache. Saint-Eustache, submergée, les a réparties dans les églises du quartier.

Ainsi donc, pendant une dizaine de jours, tous les fidèles de Saint-Germain l’Auxerrois ont participé aux célébrations devant les fleurs de Bastien Sylvestre sans le savoir.

J’irai au Père-Lachaise cet été.

***

Été 2022

Une vie qui déroule son fil :

L’été est là. Avec lui, la canicule. Mes impératifs de vie se succèdent. Les jours s’enchaînent. Le temps glisse, le temps va trop vite…

L’automne, déjà…  La rentrée. D’un côté, de l’autre. À droite, à gauche. Les cubes des jours de ma vie s’empilent…

Je ne suis pas allée au Père-Lachaise. Je n’ai pas oublié ce que je m’étais fixé mais je ne l’ai pas mis en œuvre…

Ce n’est pas que j’aie renoncé. Pas du tout. Mais j’ai toujours trouvé autre chose à faire. Bien sûr, je n’ai pas rejeté ce qui m’est arrivé avec Bastien Sylvestre mais on pourrait dire que j’ai laissé ces « coïncidences » de côté.

Ma vie a continué.

Je n’y pense plus trop…

***

Vers la mi-novembre 2022

Une rencontre :

Je vais au cimetière parisien de Pantin sur la tombe d’un ami.

Le cimetière de Pantin est si grand que la mairie de Paris a mis en place une « navette », une petite voiture blanche conduite par un employé de la ville et qui dépose les visiteurs près des tombes de leurs défunts.

Je monte dans la navette. Je suis seule avec le conducteur. Celui-ci, d’emblée très sympathique, me conduit près de la tombe de mon ami et me dit avant que je descende : « Madame, je vous attends dans l’allée ».

Je suis gênée :

  • Mais non, Monsieur, je vais peut-être rester quinze minutes. C’est trop long pour vous. Je retournerai vers la sortie à pied.
  • Non, non, Madame. Je suis ici. Je vous attends. Je n’ai rien d’autre à faire pour le moment.

Au bout de quelques minutes, le monsieur sort de la voiture et s’approche de moi :

  • On vient de m’appeler au talkie-walkie, je vais raccompagner une dame et je reviens vous chercher.

Décidément, ce monsieur est vraiment très gentil.

Au moment précis où j’ai fini de m’affairer sur la tombe, un peu de nettoyage, une longue prière, la voiture revient et s’arrête dans l’allée.

Je monte dans la voiture. Le monsieur est très vivant, il parle, sans bavarder. Il est vraiment très sympathique.

Il me dit (pourquoi ? …), je suis né en 1977. Je réponds (pourquoi ? …) : « Ah oui ? mon deuxième fils est né en 1978. Il est né peu de temps après la mort de Claude François. » (Mais pourquoi lui dis-je cela ? Ici, dans le cimetière… Claude François, malgré le respect que je lui dois, n’est pas une de mes références habituelles…).

Le monsieur :

  • Ah, Claude François, je l’aimais beaucoup. D’ailleurs, j’ai visité son moulin. Son moulin est à Courances.
  • Excusez-moi, je ne sais pas où est le moulin de Claude François, mais à Courances, il y a un château. Un très beau château. Mon mari et moi, nous sommes allés très souvent dans la partie libre d’accès auprès de ce château. Quand nos fils étaient petits, on allait y pique-niquer le dimanche. Nous n’allions pas dans le château ni dans les jardins mais nous nous installions dans la verdure tout près de la grande allée arborée qui mène au château et nos fils pouvaient jouer comme ils le voulaient. Ce château est très beau. C’est d’ailleurs là-bas qu’a été tourné « Le sens de la fête » avec Jean-Pierre Bacri (mais pourquoi dis-je cela à ce monsieur ? …). D’ailleurs ce film va repasser à la télévision lundi prochain, je ne sais plus sur quelle chaîne mais il va repasser (et voilà que nous parlons cinéma, maintenant…). À ce propos, hier (mais pourquoi est-ce que j’ajoute cela ?… ici, dans le cimetière…), il y avait le film « Saint-Laurent » avec Bastien Sylvestre. Je regarde très rarement les films à la télévision mais là, j’en ai regardé une partie. Pas tout, j’ai zappé. C’était vraiment trop cru, trop osé, mais je voulais voir comment jouait Bastien Sylvestre, vous savez le comédien qui est mort en début d’année.

Le monsieur, toujours en conduisant, on est proche de la sortie maintenant, notre dialogue n’aura pas duré plus de cinq minutes en tout :

  • Ah, Bastien Sylvestre, je le connais bien.

Je tourne la tête, regarde le monsieur. Il continue :

  • Oui, là je conduis la navette, mais ça n’est pas mon métier. Je suis fossoyeur. C’est moi qui ai creusé la tombe de Bastien Sylvestre au Père-Lachaise.

Je suis abasourdie. Sonnée en quelque sorte. Je ne peux rien dire de plus. Je viens de prendre une charge lourde sur la tête. Je n’en reviens pas. Je suis interdite.

Le monsieur :

  • Oui, on était plusieurs. Il a fallu creuser la tombe à toute vitesse. On a cassé l’ancien monument en catastrophe et on a creusé la tombe de Bastien Sylvestre. On a mis les bouchées doubles et on y est arrivés.

Je suis assommée. La voiture s’arrête. On est arrivés. Je salue rapidement le monsieur. Je sors. Je m’assieds sur le premier banc venu. Les larmes me montent aux yeux. C’est trop. Je ne sais pas quoi faire ni comment faire… Je n’arrive pas à comprendre ce que veulent me dire ces rencontres…

Dans les jours qui suivent, je me sens dépassée par cette accumulation de coïncidences qui, bien sûr, n’en sont pas. Je dois faire ce que ces faux hasards me suggèrent de faire. Mais quoi donc, et comment donc ?

Je demande conseil à une religieuse. Je lui dis, sans plus de détail, que la mission de prier pour un défunt m’a été confiée mais que je ne sais pas trop comment m’y prendre, que je ne suis pas certaine de bien le faire. La religieuse me répond qu’il n’y a pas de méthode figée, que je peux me recueillir devant la tombe mais aussi, tout simplement, prier là où je me trouve. Rien n’est déterminé, priez, recueillez-vous, faites comme vous le pensez et laissez-vous guider par l’Esprit Saint. Ce que vous ferez sera ce qu’il fallait faire.

Je prends deux décisions : j’irai encore une fois au Père-Lachaise et encore une fois à Saint-Eustache. Le cimetière : le lieu d’inhumation, l’église : le lieu de célébration de la messe d’enterrement.

***

Fin novembre 2022

Une pierre tombale :

En arrivant devant la tombe de Bastien Sylvestre, je découvre qu’une pierre tombale recouvre désormais le caveau.

C’est une jolie dalle, de pierre sûrement. Un monument simple, sobre, de couleur claire et blonde. Je pense aux pierres de la Cathédrale Notre-Dame…

Sur la dalle, seulement une petite plaque avec le prénom et le nom de Bastien Sylvestre et ses années de naissance et de décès. C’est tout. Les fleurs, les photos ont été posées sur le côté.

Quelques passants marchent dans l’allée. Parfois, ils s’arrêtent mais le mouvement est très calme et fluide.

Je peux presque… faire silence… Cette jolie dalle est apaisante. De couleur de sable clair, elle m’évoque le sable d’un désert.

C’est peut-être ça… Bastien Sylvestre est peut-être en ce moment dans un désert entre le monde terrestre et le monde céleste, il est parti si brutalement, il est peut-être en passage, en transition.

Comment savoir ?

Son âme s’élèvera, c’est certain, elle s’est peut-être même déjà élevée, mais peut-il y avoir une transition, un entre-deux ?

Je quitte le cimetière. J’ai vu la pierre tombale de Bastien Sylvestre mais je n’ai pas réussi à me recueillir vraiment…

***

Fin novembre 2022

Dans la paix de Saint-Eustache :

Je m’assieds au même endroit que la première fois. Tout est calme. C’est le milieu de l’après-midi. Je me signe. Je commence à prier. Peut-être. Ou à faire oraison. Le cercueil de Bastien Sylvestre a reposé ici. Tout près. Il était bien jeune, pas du tout prêt à mourir. En plus, son statut d’homme célèbre a drainé une foule de gens devant sa tombe. Mais ce dont il a certainement eu besoin, c’est d’un soutien spirituel dans son passage vers l’au-delà. Sa famille, bien sûr, ses proches, ses amis ont dû prier avec ferveur mais plus la chaîne de prières est étoffée, plus le défunt est entouré et accompagné.

Tout est calme. Enfin, ça y est. Je peux me recueillir tranquillement. C’est enfin possible…

Soudain, un hurlement violent dans l’église. Un hurlement d’orgue ! Un gigantesque bouquet de tuyaux-trompettes qui hurlent, déchirent le silence et le font voler en éclat. Je reçois une pluie battante de musique fracassante dans les oreilles. Assommée (une fois de plus…), je me retourne.

Un des titulaires de l’orgue de l’église est assis au buffet situé dans la nef et il semble donner des explications à quelqu’un, debout près de lui, qui le regarde avec attention. Est-ce une répétition ?…

Que faire ? Quoi faire ? Il n’y a rien à faire. Rien à comprendre. Je pensais devoir me recueillir. Cela m’a été impossible. Rien d’autre à faire pour le moment que de partir, quitter Saint-Eustache.

J’ai sans doute mal compris depuis le début. J’ai cru que Bastien Sylvestre avait besoin de prières dans le recueillement. Je n’y suis pas parvenue depuis presqu’un an maintenant.

Tout ce que j’ai tenté a été tronqué, troublé d’une manière ou d’une autre. Tout ce que j’ai fait m’a paru insuffisant. Il aurait donc fallu que je comprenne autre chose et que je m’y prenne autrement.

***

Jeudi 19 janvier 2023

La providence :

Une note CASA :

« Objet : CASAinfo : Dossier thématique 2023/ La rencontre. »

Heureusement !…

***

Dimanche 23 avril 2023

Une précision :

La note CASA est datée du 19 janvier 2023, un an jour pour jour après le décès de Bastien Sylvestre survenu le 19 janvier 2022.

***


[1] Le prénom et le nom ont été changés par respect pour la famille.

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