Texte de Dominique de Keghel.

Parmi tous les matériaux de construction, le bois évoque les belles futaies de nos forêts, le marbre nous rappelle les salons brillants et colorés du château de Versailles. La pierre renvoie aux bâtisseurs de cathédrales, le verre aux artistes-verriers de Chartres. Le fer évoque les structures audacieuses de la Tour Eiffel. Mais le béton ? N’est-il pas plutôt dans notre esprit associé aux blockhaus ?

En effet, le béton ne serait pas une matière noble au même titre que les autres, on ne le trouve pas à l’état naturel. Pourtant, c’est un matériau de construction aux multiples usages, économique et de longue durée, résistant à l’eau et à la corrosion. Mais contrairement aux autres matériaux, sa préparation et son travail ne sont pas le fruit d’un savoir-faire ou de l’habilité d’un artisan, mais plutôt de l’expertise des hommes de métier qui ont mis au point progressivement des recettes de fabrication.

Qu’est-ce que le béton ? Définitions et terminologie. Mortier, béton, ciment : quelle différence ?

Le néophyte bricoleur peut se perdre dans la terminologie de la maçonnerie. Pourtant, ciment, mortier, bitume et béton correspondent chacun à des usages bien différents.

Le ciment est l’ingrédient de base du mortier et du béton et n’est jamais utilisé seul, mais toujours dans des recettes faisant intervenir d’autres composants. C’est un liant, formé à partir d’un mélange d’argile et de calcaire séché, puis finement broyé pour obtenir une poudre fine grise ou blanche. D’une manière générale, le ciment est un liant hydraulique qui durcit sous l’action de l’eau et est utilisé dans la préparation du béton.

Le mortier est un mélange de sable et d’eau auquel on ajoute un liant, soit du ciment, soit de la chaux, soit un mélange des deux. Une fois le mélange effectué, il forme une pâte que l’on peut exploiter pour différents usages, puis il durcit à l’air libre pour devenir aussi solide que la pierre. Mais, en tant que tel, le mortier n’a pas de résistance mécanique propre, c’est pourquoi on ne l’utilise que pour les enduits, pour faire de la colle, monter des briques, des pierres, des parpaings, coller du carrelage ou sceller des éléments.

Le béton est un mélange de ciment, de sable, d’eau et de granulats[1]. Cette composition le rend extrêmement robuste et lui procure des propriétés mécaniques exceptionnelles. Il est employé pour la fabrication de dalles, poutres, planchers, colonnes, linteaux, murs, etc. Dans le langage courant, le terme « béton » fait référence au « béton de ciment », le plus courant, composé de ciment et d’un agrégat de sable et de gravier. Mais, en réalité, le terme « béton » désigne tout mélange utilisé pour réaliser des structures porteuses. Le béton est matériau moderne incontournable ; il peut pourtant se prévaloir d’une histoire très ancienne. Le principe du béton est connu depuis l’Antiquité sous la dénomination de « béton de terre ».

Une histoire de béton

Dans les cités-États de la Mésopotamie vers 3 000 av. J.-C., on voit apparaître l’utilisation du « béton de terre »[2] (pisé ou torchis). Cette matière est de nature à se dégrader plus rapidement que la pierre, c’est pourquoi les vestiges y sont rares. En Afrique subsaharienne on a encore recours au pisé pour la construction de maisons ou de mosquées, comme à Tombouctou ou Djenné au Mali. Dans l’Égypte antique le « béton de terre » est aussi utilisé dans la construction des pyramides. Un exemple est la pyramide de Djédefrê (frère et successeur de Khephren) à Abou Rawash, au nord du Caire en 2600 av. J-C.

Pyramide de Djédefrê à Abou Rawash, 2600 av. J.-C., © Roland Unger.

Le béton tel que nous le définissons aujourd’hui est le « béton ciment ». Il apparaît quant à lui dès la Rome antique.

Le béton romain

Le mot « béton » nous vient en effet du latin bitumen (« bitume ») ; il est attesté en ancien français, vers 1165, sous la forme betun (« mortier »). Les Romains en ont maîtrisé l’usage dès le Ier siècle apr. J.-C. Le calcaire chauffé se transforme en chaux vive. L’ajout à la chaux de pouzzolane[3] ou bien de tuiles ou de briques concassées, confère à ce béton-ciment une résistance exceptionnelle. Voilà pourquoi de nombreux vestiges antiques subsistent de nos jours ; thermes de Caracalla, Panthéon, Pont du Gard, en sont quelques exemples.

Dès le Ier siècle, Vitruve, dans son traité d’architecture De architectura (livre II, chapitre 6), constate : « Le mortier peut résister à l’eau et même faire prise en milieu très humide ». En effet, on a retrouvé dans les eaux de la baie de Naples des structures portuaires datant de l’époque romaine conservées en excellent état.

Le béton moderne

Depuis la fin du XVIIIe siècle, inventeurs et ingénieurs ont réalisé des innovations et en ont amélioré les performances.

  • James Parker (1735-1795) invente un ciment naturel à prise rapide, commercialisé sous la marque « ciment romain », composé de calcaire argileux chauffé, donnant un ciment qui permet des moulages pour pierres factices.
  • Grâce aux travaux de Louis Vicat (1786-1861), le béton acquiert la résistance que l’on connaît aujourd’hui. Il découvre le principe d’hydraulicité, c’est-à-dire la prise de la chaux dans l’eau et sa résistance à la dissolution, nécessaire pour la construction de ponts et de piliers immergés.
  • Joseph-Louis Lambot (1814-1887) construit en 1849 une barque en « fil de fer ». Cette réalisation a consisté à couler un mélange de mortier sur un grillage en armature de fer. Cette barque est considérée comme la première structure en béton armé de l’histoire.
  • Joseph Monier (1823-1906) est l’inventeur du premier pont en béton armé du monde.
  • Maître du béton armé, Auguste Perret (1874-1954) réalise le premier immeuble en béton à Paris, prélude à bien d’autres bâtiments comme les gratte-ciels newyorkais. Il est l’architecte de la reconstruction du cœur de la ville du Havre, détruit par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Il est aussi célèbre pour la tour d’Amiens.
  • En 1909, Charles-Edouard Jeanneret (Le Corbusier) apprend les premiers rudiments du dessin technique concernant l’architecture en béton armé, en travaillant comme dessinateur chez les frères Perret.

Les différentes applications ne cessent de se diversifier aux XXe et XXIe siècles

De nos jours, le béton armé est devenu un matériau de construction incontournable. Il a été en grande partie inventé, promu et développé en France. Il s’est trouvé formidablement favorisé du fait de la réglementation française qui a imposé des garanties et assurances à long terme sur les constructions, ce matériau se prêtant à merveille à l’ouvrage que l’on souhaite pérenne et fiable. François Hennebique (1842-1921), ingénieur, est l’auteur d’une circulaire du 20 janvier 1906 relative au béton armé. Il s’agit du premier règlement qui fixe la quantité de composants à utiliser pour sa fabrication (ciment, sable, gravier et eau).

  • Le béton précontraint : Eugène Freyssinet (1879-1962), en introduisant des câbles d’acier en extension dans le béton avant sa mise en œuvre, en augmente les portées.
  • Le béton bitumeux : composé de sable, de gravillons et de bitume (résidu de pétrole) comme liant, il est principalement utilisé pour le revêtement des routes et autoroutes, mais il peut être idéal pour une allée de jardin ou de garage.

De nouvelles dispositions et pratiques émergentes sont apparues, favorisant l’usage du béton. La plus importante est liée au phénomène récent du développement d’une architecture de l’habillage. Alors que, pendant très longtemps, l’essentiel des efforts architecturaux portait sur l’optimisation des plans (fondations, planchers et structures), la priorité semble donnée aujourd’hui à la façade. Les conséquences sur la manière de construire et les capacités des matériaux sont nombreuses :

  • Panneaux de béton préfabriqués avec emploi de coffrages en bois ou en métal.
  • Voile de béton projeté ou coulé qui permet l’inclusion d’autres matières.
  • Béton brut de décoffrage : le matériau est conservé tel qu’il apparaît après le décoffrage. L’aspect du coffrage doit donc être particulièrement soigné.
  • Béton allégé : sable et gravillons sont remplacés par des billes de polystyrène moins lourdes et plus maniables pour l’isolation des bâtiments.
  • Béton à hautes performances auto-plaçant (BAF) : béton de ciment capable sous le seul effet de la pesanteur de se mettre en place dans les coffrages, même les plus complexes, sans nécessiter pour autant des moyens de vibration ; le résultat est un produit très homogène.
  • Les bétons fibrés (BFUP) à ultra haute performance, contenant des fibres métalliques et /ou synthétiques sont très résistants et capables d’épouser les moules les plus divers. Ils sont utilisés pour les ouvrages d’art, comme pour les façades contemporaines recouvertes d’une résille de béton. Le MUCEM, à Marseille, avec sa façade recouverte d’une résille, est l’exemple d’une architecture esthétique aérienne grâce à sa transparence.
Rudy Ricciotti et Roland Carta, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille, 2013, © DEZALB.

Vers un béton plus écologique

Pour remédier à la raréfaction des ressources naturelles et endiguer l’accumulation de déchets et la pollution, un béton écologique a fait l’objet d’avancées en matière d’avantages environnementaux et thermiques. La fabrication du ciment dans la préparation du béton est extrêmement polluante. Il serait néanmoins possible de produire un béton plus respectueux de l’environnement, plus solide et plus écologique en recyclant des résidus issus de centrales à charbon, d’usines d’aluminium, de déchets des hauts fourneaux de la sidérurgie comme produit de substitution au clinker[4] capable de remplacer le ciment.

Autre innovation prometteuse : des chercheurs de l’université de Lancaster (Royaume-Uni) ont créé un nouveau mélange de ciment « intelligent » capable de stocker de l’énergie électrique qui pourrait transformer les bâtiments en « batteries ».

Le béton, ce matériau à la solidité à toute épreuve, est devenu indispensable dans notre société moderne. Cependant, cette matière n’a pas toujours eu bonne presse. Preuve en est, le terme « bétonner », plutôt connoté négativement dans l’imaginaire populaire. Longtemps jugé inesthétique par sa couleur et sa matité, le béton n’était employé que dans les parties cachées de la construction, structures recouvertes de parements ou bien pour sceller des pierres ou briques. Notre époque le considère même néfaste pour la préservation de l’environnement, énergivore dans le processus de sa fabrication. L’extraction de ses composants, sable, graviers et calcaires épuiserait peu à peu les sols et les carrières. La construction de nombreux parkings, de sites industriels ou commerciaux, d’aéroports, d’autoroutes, tous gourmands en béton, contribuerait à leur envahissement dans le paysage et de surcroît au détriment bien souvent des terres agricoles.

Les innovations dans le domaine de la construction seront-elles en mesure à l’avenir de produire une matière, aux propriétés équivalentes du béton, mais plus respectueuse de l’environnement ?


[1] Graviers, microbilles synthétiques ou copeaux de bois.

[2] « Le béton de terre » appelé aussi « pisé », ou « torchis » est composé essentiellement d’argile, de sable, de graviers et d’eau, quelquefois mélangés avec de la paille.

[3] La pouzzolane est constituée de scories de roches volcaniques basaltiques. Le terme est issu de la ville de Pozzuoli, dans la baie de Naples.

[4] Le clinker est un constituant du ciment, obtenu par calcination d’un mélange de calcaire et d’argile et l’ajout d’oxydes métalliques à une température d’environ 1450°C suivie d’une réduction en poudre après refroidissement.

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