Texte de Clémence Chaux, photos d’Emmanuel Bigo.

« Il vaut mieux s’adresser à des hommes de génie sans la foi qu’à des croyants sans talent »

Père Marie-Alain Couturier [1]

Près de 80 ans après la fondation de la revue L’Art sacré, l’intervention des artistes contemporains dans les églises continue de faire polémique. En témoigne la récente affaire des vitraux d’Anzy-le-Duc qui s’est résolue par l’abandon du projet de pose de vitraux signés Gérard Fromanger dans la prieurale [2] du XIe siècle.

1. La prieurale d’Anzy

L’histoire du prieuré d’Anzy remonte au début du Xe siècle, mais l’église qui s’élève aujourd’hui au centre du village d’Anzy-le-Duc date du XIe siècle. Ce chef-d’œuvre de l’art roman bourguignon présente un ensemble sculpté remarquable composé de chapiteaux historiés et de trois tympans dont l’un est désormais exposé au Musée du Hiéron, à Paray-le-Monial. Le chœur est décoré de fresques qui ont fait l’objet d’une restauration réussie en 2017. Quant à son clocher octogonal de style lombard, il fait l’admiration des visiteurs. Contrairement à Charlieu ou à Cluny, l’église d’Anzy fut relativement épargnée pendant la Révolution. Elle devint église paroissiale en 1818 et fit l’objet d’un classement aux Monuments historiques en 1852. C’est un site CASA depuis 1970.

Le clocher octogonal caractéristique d’Anzy-le-Duc, présenté par les guides CASA depuis 1970.

2. La genèse de l’affaire

En 2011, un mécène propose à la Fondation du Patrimoine de financer la pose de vitraux contemporains dans l’église d’Anzy. Une aubaine pour le maire du village et pour André Beauchamp, le président de l’association des amis de l’église, qui peinent à lever des fonds pour restaurer le chœur et le transept de la prieurale. Mais le mécène se montre inflexible : seule la pose de nouveaux vitraux l’intéresse. D’ailleurs, il a d’ores et déjà en tête le nom d’un artiste, Gérard Fromanger, éminent représentant du mouvement de la figuration narrative [3]. Les autorités civiles, dont la DRAC, se montrent très enthousiastes.

Il faudra néanmoins attendre quatre ans avant que le peintre vienne à Anzy présenter son projet, sans support visuel néanmoins. Ce déplacement a lieu au mois d’avril 2015. Entre-temps, la restauration du chœur et du transept de la prieurale est relancée : elle débute en janvier 2017.

Quelques mois plus tard, une présentation officielle des tableaux est organisée dans l’atelier de Gérard Fromanger à Paris. Le maire d’Anzy qui y est convié parvient à convaincre l’artiste de le laisser prendre quelques photos de son projet. Gérard Fromanger accepte, mais reconnaît aujourd’hui avoir commis une « erreur » en cédant à sa supplication. Dans les heures qui suivent la présentation, lesdites photos se retrouvent sur Internet [4] et déclenchent des réactions immédiates. La polémique est née.

Carton des vitraux en projet pour la prieurale d’Anzy-le-Duc, Gérard Fromanger, exposition « Annoncez la couleur », Avallon.

3. La polémique

À la tête de la contestation se trouve l’association Terre et Famille établie à Briant (Saône-et-Loire), dont l’objet est de « faire grandir le bagage culturel des participants en restaurant l’esprit médiéval hérité de la France chrétienne ». Ses représentants sont présents lors de la réunion organisée à Anzy le 6 novembre 2015 en vue d’exposer le projet aux habitants du village. L’artiste, en revanche, est absent. L’ambiance est électrique, prélude à une campagne d’une rare violence qui se déchaîne sur les réseaux sociaux.

Le premier grief des opposants au projet concerne la déposition des vitraux du chœur que les autorités civiles avaient pourtant jugés d’un faible intérêt patrimonial. Les membres de l’association Terre et Famille y voient « l’action d’une coalition » visant à « détruire l’enracinement » [5].

Leur deuxième grief porte sur le sujet des vitraux et, plus indirectement, sur la personne de l’artiste : « le donateur a confié les travaux à un artiste de son choix, artiste dont le projet artistique paraît sans rapport avec l’harmonie et l’esprit de ce lieu qui est avant tout un lieu de prière » [6]. Interrogé sur ce point, l’artiste concède avoir un moment songé à représenter un sujet religieux, mais avoir vite écarté l’idée. Gérard Fromanger, en effet, ne transige pas avec la liberté de l’artiste. Pourquoi, dans ce cas, avoir accepté d’intervenir dans une église ? « L’église est la propriété de l’État et des citoyens, c’est aussi un peu chez moi », répond l’artiste qui reconnaît, sans regret, avoir « fait du Fromanger ». La cabale ne l’a pas épargné : sa participation au mouvement de mai 68 et sa proximité assumée avec des intellectuels de gauche ont façonné sa réputation d’artiste rebelle qui n’est sans doute pas étrangère aux attaques dont son œuvre est la cible.

4. La polémique

Face à la virulence des attaques, les promoteurs locaux du projet vacillent. Au mois de janvier 2016, l’évêque d’Autun se rend à Paris pour rencontrer Gérard Fromanger. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est la première fois que les deux hommes échangent sur le projet. Au regret de l’évêque de ne pas avoir été impliqué dans l’élaboration du projet des vitraux, Gérard Fromanger oppose sa liberté d’artiste pour refuser toute supervision de ses travaux par le diocèse. La suite de la discussion fait apparaître un autre point de dissension majeur entre les deux hommes : la lumière qui traverse le vitrail n’a pas la même origine ni la même signification pour Gérard Fromanger et pour l’évêque. L’analyse de Fromanger, qui ne satisfait pas l’évêque, conduit ce dernier à opposer un refus définitif à la pose de ses vitraux dans l’église d’Anzy. Gérard Fromanger aura sans doute sous-estimé le pouvoir de l’évêque dans le cadre du régime de l’affectation. La prieurale a beau appartenir à l’État, son propriétaire ne peut y apporter de transformation sans l’autorisation préalable du diocèse. Prenant acte du veto de l’évêque, les autorités civiles se désengagent. Il n’en fallait pas plus pour que le projet soit définitivement enterré.

Le chœur d’Anzy , voûté en cul-de-four et décoré de fresques.

5. Les leçons de l’affaire d’Anzy

La décision de l’évêque est une victoire pour les détracteurs du projet qui y voient l’action salvatrice de la Croix [7] : « La levée de boucliers des locaux, habitants et militants, défenseurs du terroir et de l’art sacré, ont eu raison du projet » [8], pouvait-on lire sur le site de Riposte catholique, association catholique fortement opposée au projet.

Du côté de ses promoteurs, on y voit davantage une victoire de l’intolérance et des conservatismes. « J’ai l’impression d’être revenu quelques siècles en arrière », avoue Gérard Fromanger, non sans amertume.

L’affaire d’Anzy apporte la preuve que l’intervention d’artistes non chrétiens dans les églises suscite toujours un débat passionné.

En 2017, à l’occasion de la restauration des fresques du chœur, l’architecte Frédéric Didier dessine le motif du vitrail de la façade occidentale. Instruit de la querelle des vitraux d’Anzy, Frédéric Didier aura préféré y représenter… une simple croix latine…


[1] « Aux grands hommes, les grandes choses », in L’Art Sacré, 1950.

[2] Ou priorale. Apocope pour église prieurale, église d’un prieuré, monastère le plus souvent subordonné à une abbaye plus importante, et placé sous l’autorité d’un prieur. Retrouvez toutes ces définitions dans le CASAQuid Lexico, document de formation des communautés CASA.

[3] Mouvement pictural né en France au début des années 1960, opposé tant à l’abstraction qu’aux expérimentations des Nouveaux Réalistes.

[4] Ces photos se sont notamment retrouvées sur le site d’Alain Soral, figure de l’extrême-droite française : https://www.egaliteetreconciliation.fr/Destruction-progressive-du-patrimoine-le-cas-des-vitraux-d-Anzy-le-Duc-36208.html.

[5] « Nous sommes en présence d’une coalition visant à détruire notre enracinement à travers notre patrimoine et notre Foi. Pouvons-nous laisser la croix de Notre Seigneur cachée dans les catacombes alors qu’elle doit être dressée sur le monde ? » (L’église d’Anzy-le-Duc menacée, site de l’association Terre et Famille, novembre 2015 : http://terre-et-famille.fr/laffaire-des-vitraux-danzy-le-duc/

[6] Extrait de la pétition « Pour sauver l’église d’Anzy » adressée à la DRAC de Dijon le 7 décembre 2015 : https://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2015/12/p%C3%A9tition-pour-sauver-l%C3%A9glise-danzy-le-duc.html.

[7] https://www.ndf.fr/poing-de-vue/20-01-2016/anzy-les-vitraux-sauves-grace-a-la-croix/

[8] https://www.riposte-catholique.fr/archives/115558.

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